Les artistes Aicha Hamu (née en 1974), Marcelline Delbecq (née en 1977), Julien Carryen (né en 1973) et Jochen Dehn (né en 1968), tous imprégnés d’une forte culture cinématographique, sont invités lors de l’exposition « Micro-fictions » à suggérer mille et unes histoires par des indices que le spectateur-acteur est invité à décrypter.
L’exposition repose sur une dualité entre visible et invisible, entre souvenir et incarnation, entre fiction et réalité, dans une tension du regard qui explore les territoires infinis de l’imaginaire. A la force sculpturale des installations s’impose la puissance des mots. Les mots enfouis ou les voix qui ne cessent de parler, deviennent comme chez Samuel Beckett le seul moyen de déjouer le vide et l’effondrement.
Dans notre société où tout est image, tout est visible, la rumeur offre une porte ouverte au fantasme, à l’imagination la plus délirante. C’est dans cette brèche que Jochen Dehn s’engouffre en développant des histoires improbables qu’il tisse à partir de bribes d’informations recueillies auprès de diverses personnes. Son travail s’intéresse davantage à la manière de rapporter une histoire, de la colporter, qu’à l’histoire elle-même.
Dans le travail de Marcelline Delbecq, l’univers cinématographique constitue parfois une amorce de récit. Des « Heavenly series » (cinq estampes numériques reproduisant partiellement, en couleur sur fond noir, les contours de propriétés hollywoodiennes ayant appartenu à cinq personnalités) se dégage une tension dramatique. Au-delà des lignes épurées de l’architecture moderniste de Hollywood, le texte révèle à demi mots l’histoire terrifiante qui a pu s’y tramer. De même, la vidéo « Close » retrace l’histoire fictive d’une maison située près de Giverny. Dans le film, la demeure, toujours placée hors champ, ne se laisse appréhender que par le récit. L’artiste crée ainsi une tension par une forme de rétention.
De même, Julien Carreyn est un faiseur d’images qu’il compose, simule, rejoue en lui donnant la patine d’une photographie trouvée. Attentif et appliqué, il reprend des scènes de films qu’il copie minutieusement avant de les recouvrir d’un pastel gras ou d’un lavis sombre. La texture de la matière picturale confère à cette copie une densité incomparable. Ces images qui appartiennent à la culture populaire n’en sont pas moins énigmatiques.
Loin des effigies brillantes et tape à l’œil qui ont nourri les artistes du Pop Art dans les années 60, Aïcha Hamu recrée des présences fantomatiques et envoûtantes. Les portraits éphémères dessinés au henné ou bien esquissés par grattage sur satin, apparaissent/disparaissent pour ne laisser que l’empreinte fugitive des corps (« Sans titre », 2003). Pour l’exposition « Micro-fictions », l’artiste imagine une ville à échelle réduite sur laquelle l’homme semble avoir toute emprise. En hommage aux jardins suspendus de Babylone, la sculpture réactive le mythe qui entoure l’une des sept merveilles du Monde. Compte tenu de l’absence de témoignages et d’archives, l’artiste nous présente une vision fantasmée, une sorte de nouvel éden qui serait un pastiche de nos villes modernes à visée écologique. Clin d’œil à ces habitats de demain qui ne s’envisagent qu’à travers le simple habillage écologique, le jardin verdoyant est ici remplacé par des coiffures afro qui renvoie au sentiment d’« inquiétante étrangeté ».
Les installations et les œuvres de l’exposition « Micro-fictions » suggèrent par leur présence fantomatique un monde parallèle au nôtre, et attaché à une autre temporalité. Elles invitent à la projection du regard, de l’imaginaire (l’imaginaire est activé quand l’image disparaît) du spectateur à l’intérieur de fictions dont la clé semble parfois se situer hors champ.